La Borne et l'art contemporain, essai.

Chaque fois que j'emmène à La Borne des amis qui ne connaissent rien à la céramique, ils me posent les mêmes questions:

- Qu'est-ce que le grès?

- Comment le village a-t-il pu survivre à son isolement?

- Quelle est la place des céramistes de La Borne dans l'art contemporain?

Le texte ci-après est un essai de réponses aux deux dernières questions

Je ne suis pas un historien ni un critique d'art. Né à La Borne en 1946, j'ai simplement vécu cette deuxième moitié du XXe siècle en restant proche du milieu de la céramique par mes parents, attentif aux évolutions de l'art contemporain et partenaire du développement local de territoires en difficulté à l'occasion de mes postes de responsabilités à la DATAR ou dans différents ministéres.

Les céramistes de La Borne et de ses environs (France,  département du Cher) sont pour moi un   exemple. Ils ont su maintenir l'attractivité de ce lieu. Ils ont su prendre une place particulière dans les mouvements artistiques mondiaux de la deuxième moitiè du XXe siècle. Ces céramistes de l'après-guerre n'ont pas eu de chef de file comme Bernard Leach (1887-1979) en Angleterre ou Peter Voulkos (1924-2002) aux Etats-Unis. Ils ont dû se battre dans un contexte artistique et économique qui leur était défavorable. Ils ont dû faire face au clivage simpliste qui rangeait la céramique dans les arts "du Maréchal (Pétain)" comme a pu l'écrire Yvonne Bruhammer en 1998.

 En effet l'image (peinture, photo, vidéo,...) en France a souvent eu un rôle privilégié dans les domaines de l'art. Par ailleurs deux approches des matériaux, antinomiques pour certains, mais qui me paraissent plutôt complémentaires, ont été développées simultanément à l'époque contemporaine :

 - Les argiles cuites à basses températures (moins de 1200°). Ce sont des terres vernissées et les faïences du Sud avec comme porte-drapeau une personnalité de premier plan, Picasso. Le Raku venu du Japon  est devenu un nouveau champ d'investigation dans les années 1980.

 - Les argiles cuites à hautes températures (au delà de 1290°). Le grès est, à partir des années 50, le support de la modernité la plus affirmée. La porcelaine reprendra sa place  avec les fours à gaz et le retour à la modernité de la manufacture de Sèvres à la fin des années 1980.

Dans ce contexte de compétition, la Borne va être l'acteur majeur de ce deuxième axe.  Son développement artistique s'est fait  à partir de ses ressources propres, humaines et naturelles.(argiles à grès et bois). Son attractivité et sa proximité de Paris  lui ont permis de se créer un modèle spécifique qui a su évoluer depuis les années 1950 jusqu'à aujourd'hui. Cet autodéveloppement est sa force du fait de son autonomie et sa faiblesse du fait de faibles ressources. La céramique actuelle ne serait pas ce qu'elle est aujourd'hui s'il n'y avait eu les recherches artistiques menées à La Borne après 1945 et l'accueil chaleureux de nombreux stagiaires étrangers. Quelques rappels historiques et un essai d'interprétation de ce territoire sont nécessaires pour comprendre.

Un territoire magique.

La Borne est devenu le coeur d'un vaste territoire qui va de Vierzon à Sancerre où l'on trouve des gisements d'argiles à terre cuite et à grès.  Ce lieu est singulier car en un siècle il est passé d'un village d'artisans autochtones à un village d'artisans et d'artistes internationaux. Il a su conserver, sans protections réglementaires, un environnement et une vie sociale agréables  à une époque où les activités se concentrent dans les villes. 

Depuis le XVIIe siècle, des ateliers artisanaux se sont développés  dans un essart au milieu d'une grande forêt de chênes et de hêtres. Le village dépend des communes d'Henrichemont et de Morogues. Cette distance des responsables municipaux et administratifs n'est pas sans conséquences. Il a développé une mentalité insulaire. La proximité de la Loire permet jusqu'en 1950 des exportations à longue distance des saloirs, pots à lait, faisselles et autres objets utilitaires. Une voie de chemin de fer économique dessert le village de 1900 à 1950. A partir de 1920, la concurrence de l'industrie manufacturière entraîne un long déclin avec un bref  sursaut pendant la Deuxième guerre mondiale.

Le village s'est structuré au XIXe siècle avec des maîtres potiers, chefs de petites entreprises qui disposaient d'ateliers et d'un four. Toute une population assure les différents services nécessaires à leur activité : extraction et transport des argiles, conditionnement du bois, transport, etc. nécessaires aux entreprises. D'autres métiers (fermier, boucher, tisserand, maréchal-ferrant....) indispensables à la communauté permettent une vie presque autarcique qui subsiste jusqu'en 1950. C'est la résistance de cette micro-société qui va favoriser la prise de relais par de jeunes artisans ou artistes attirés par cette atmosphère de travail sérieux. Ainsi Jean Lerat pourra apprendre le tournage auprès des ouvriers d'Armand Bedu en 1941.

Jusqu'en 1942, la céramique à La Borne s'appuie sur ses ressources locales  (argiles, bois,..) et ses fours couchés traditionnels. Les argiles sont trés diverses: grasses, réfractaires, pyritées, noires,. Des gisements à proximité du village permettent de réaliser des grès de grande qualité. Le bois est abondant. Les flammes transportent les minéraux qui se déposent sur les parties exposées des céramiques. En 1942, le céramiste Paul Beyer apporte le plan d'un four de type nouveau utilisé à la manufacture de Sèvres à la fin du XIXe siècle. C'est un four à bois à flamme renversée. Il permet à un céramiste de cuire ses grès et d'atteindre 1300° en 15h avec une quantité de bois minimale. La cuisson au bois, caractéristique du lieu est ainsi pérénnisée. A partir de 1950, d'autres sources d'énergie (électricité, gaz, ) apparaissent. Les argiles étrangéres plus faciles à se procurer et des émaux prêts à l'emploi gagnent du terrain.

Les argiles locales, la cuisson au bois, les ateliers-habitations, les stages ne devraient-ils pas être mis en avant comme des marqueurs du lieu  lorsqu'ils ne sont pas une contrainte pour la création. Jacqueline Lerat a évolué tout en conservant la même terre et le même four! Une trop grande banalisation fera disparaître la magie du lieu.

Un village reconnu localement comme un lieu touristique et par la communauté céramique internationale comme un lieu de recherche pour l'art contemporain

A partir de 1920, des responsables des milieux de l'art et de l'université s'intéressent à ce village qui semble défier la modernité.  On peut citer à Bourges, chef-lieu du département, les  directeurs de l'école nationale des Beaux-arts Edouard Duneufgermain (Dune) jusqu'en 1942, puis son successeur Henri Malvaux, François Guillaume, décorateur et éditeur pour l'art de la table qui se constitue une collection remarquable de céramiques anciennes..

A Paris, Georges-Henri Rivière (1897-1945), conservateur du musée des arts et traditions populaires, Georges Bastard, directeur de la manufacture de Sèvres, s'intéressent au village. En juin 1947, André Leroi-Gourhan, un des fondateurs de l'ethnologie moderne, y réalise avec ses étudiants la première enquéte du Centre de formation aux recherches ethnologiques créé au Musée de l'homme.

Bernard Leach  vient visiter Jacqueline (1920-2009) et Jean Lerat (1913-1992) en 1950. A partir de cette date, les visites des personnalités qui s'intéressent à la céramique à La Borne sont multiples. Chaque artiste a son réseau de connaissances.

Malgré cette reconnaissance nationale et internationale, en 1956 les auteurs du manuel de géographie du département du Cher destiné aux éléves du cours moyen décrivent les activités de céramique dans le Cher: "On fabrique dans le département des porcelaines fines comparables à celles de Limoges.... A Vierzon on fabrique aussi des grès artistiques (NDLR usine Denbac). Les poteries grossières sont faites à Argent, à La Borne près d'Henrichemont. Quelques artisans  de La Borne ont une très belle production en poterie vernissée". L'histoire n'a pas donné raison à cette vision locale de l'art "vernissé" (sic).

Les céramistes qui ont séjourné ou se sont formés à La Borne entre 1950 et aujourd'hui représentent les cinq continents. Jean puis Jacqueline Lerat ont formé de nouvelles générations de jeunes à l'Ecole des Beaux arts de Bourges. Pierre Mestre a été un pionnier pour l'accueil de jeunes stagiaires à partir des années 1950.

La Borne n'est pas isolée. Si ses artistes sont accueillants , ils recherchent une certaine tranquillité pour travailler. Ils restent proches du pôle intellectuel parisien. Cette synergie est beaucoup plus importante que l'on ne  peut l'imaginer.

Les évolutions esthétiques chez les potiers traditionnels.

Les productions usuelles traditionnelles sont marquées par la qualité des formes, des matériaux et des surfaces. Le salage en fin de cuisson complète les colorations chaudes apportées par la cuisson au bois. A partir des années 30, des émaux gris vert très élégants sont élaborés avec de la cendre pour des pichets et de petits objets usuels. Dès le XIXe siècle, à côté de ces productions de masse, des productions originales telles celles de Marie Talbot mettent en scène tout un univers d'élégantes, de métiers, d'animaux..

Les maîtres potiers (11 en 1927, 6 en 1945) cessent progressivement leurs activités face à la concurrence. Certains  diversifient leurs formes et leurs émaux pour survivre. Mais la majorité a choisi une voie sans issue, celle de couleurs vives et dégoulinantes.  Aprés un succés local, cette production apparaît comme trop décalée par rapport au design impulsé par le salon des arts ménagers et les périodiques d'art et de décoration. Les ventes s'effondrent.à la fin des années 1960, les maîtres potiers traditionnels ont disparu. Il reste leurs ateliers et leurs fours.

Armand Bedu est celui qui ira le plus loin dans la recherche d'une céramique moderne. Ses recherches de formes et d'émaux vont loin mais il n'a pas de débouchés dans les galeries parisiennes. Son travail reste méconnu.

Pot d'Armand Bedu avec une forme simple et un très bel émail.

(collection Jean-François Lerat)

Il construit un four de type Sèvres de 3 m3 à flamme renversée qui sera utilisé par Anne Kjasegaard, puis Guy Schneider et Elisabeth Joulia. C'est chez Armand Bedu que François Guillaume  conçoit de nouveaux modèles dès les années1930. Un style Art-déco plutôt dépouillé les inspire. Armand Bedu et François Guillaume facilitent l'installation de Paul Beyer en 1942. Ils vont favoriser l'installation d'"étrangers au village" possédant une démarche artistique avec des connaissances techniques en devenir.  François Guillaume installe en 1941 un atelier d'artiste où il rémunére Jean Lerat puis Jacqueline Bouvet.

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Entre 1940 et 1970, l'élaboration d'une vision moderne

A La Borne, entre 1940 et 1970 se construit dans la douleur le nouveau socle de l'esthétique de la céramique contemporaine qui va succéder à "l'art déco". Il s'agit d'un apport français qu'il faudrait confronter à la création internationale. En particulier des céramistes italiens avaient abordés avant guerre l'abstraction. On peut citer par exemple les "Incazzatura" de Sante Monachesi de 1938 ( Revue Aujourd'hui, janvier 1963) et les céramiques des années 1930 de Lucio Fontana.

Paul Beyer, céramiste reconnu dans le monde des arts décoratifs d'avant-guerre, en finissant sa carriére à La Borne  en 1943 apporte sa pierre à l'évolution de l'activité artistique . Il vient de Sèvres. Son travail est en harmonie avec le grès et les émaux à la cendre utilisés traditionnellement à La Borne.

Saint-Amand en Puisaye, jumeau de La Borne à l'est de la Loire, doit être associé à cette recherche d'une vision moderne. Le sculpteur Jean Carriès(1855-1894) y  a initié de nouvelles formes de céramique.   Jeanne Pierlot (après un apprentissage de la céramique chez Eugéne Lion en 1938) et son mari Norbert font du château de Ratilly acheté en 1951 un lieu de culture exceptionnel où la céramique tient une place majeure.

A La Borne entre 1950 et1970 se construit  contre la vision locale de l'art et avec des conditions de vie très difficiles le nouveau socle sur lequel va se fonder l'esthétique de la céramique contemporaine. D'une part il faut surmonter le conservatisme ambiant des institutions, écoles des Beaux-Arts et écoles spécialisées. D'autre part la clientèle des arts décoratifs n'est pas encore préte à toutes les innovations. Les jeunes céramistes qui travaillent dans les années 1950 sont fortement réactifs vis à vis des freins que les institutions et les mentalités imposent au média qu'est la terre. La distinction arbitraire imposée en occident entre arts mineurs et arts majeurs les révolte. Les plus ambitieux vont faire éclater les contraintes d'avant-guerre qui subsistent. Les évolutions de notre cadre de vie et de l'art vont les y aider.

Jean Lerat (1941), André Rozay(1942), Jacqueline Lerat(1943), Vassil Ivanoff(1945), Elisabeth Joulia (1946), Pierre Mestre (1947), Gutte Eriksen (1948) constituent la première vague installée avant 1950. Monique Lacroix et Yves Mohy (1955), Claudine Monchaussé (1959), Guy Schneider(1960), Pierre DIgan (1960) constituent la deuxième vague de ces révolutionnaires.

André Rozay restera le représentant d'une vision régionaliste imprégnée des productions anciennes ou de la sculpture du XIXe et des débuts du XXe siécle.

La revue "L'art sacré" qui se bat pour le renouveau de la liturgie s'intéresse à la céramique et soutient son évolution en harmonie avec le dépouillement des églises romanes et des nouvelles églises construites aprés-guerre.

1950 est une année charnière pour l'évolution de ce petit groupe. En octobre 1951, André Bloc, directeur de la revue "Art d'aujourd'hui"  écrit: "La petite cité de Vallauris, autrefois célébre par ses excellentes marmites à pot-au-feu, était en pleine décadence. Les artisans, concurrencés par la grande industrie, étaient guettés par la faillite. Mais survint Picasso qui momentanément séduit par l'argile, se livre à d'amusantes acrobaties plastiques dans une poterie locale. Vallauris était sauvée".

A La Borne, pas de Picasso. Les nouveaux céramistes vont devoir se débrouiller tout seuls. Pour cela ils choisissent une abstraction de combat. En effet, l'argile cueillie dans une couche géologique n'a pas la neutralité d'un matériau comme le verre , la surface d'une toile ou la composition immuable d'une porcelaine de Sèvres. Elle a une existence propre qu'il faut apprivoiser. Leur démarche est d'accepter les argiles de La Borne et de transformer leurs défauts en atouts. Les pièces pyritées des Mohy en sont un exemple. La revue "Art et architecture d'aujourd'hui" et les galeries parisiennes apportent l'exemple de l'abstraction. Jacqueline et Jean Lerat abandonnent progressivement les facilités imagiéres qui ont momentanément survécu après guerre. Elisabeth Joulia et Yves Mohy l'abordent dès leurs premières oeuvres. L'abstraction se décline suivant le tempérament de chacun.

Jacqueline et Jean Lerat 1956

Collection Lerat

Eric Moinet a fait une première approche montrant les passerelles intellectuelles et techniques entre l'oeuvre de Jacqueline Lerat et les peintres de cette époque.On peut retrouver Jacqueline et Jean Lerat à l'occasion des passerelles avec Klee, Hartung, Fontana, Veira da Silva, Dubuffet, etc. Le propos devrait pouvoir être élargi à la sculpture et à d'autres céramistes. Les reportages photographiques de Pierre Joly et Véra Cardot en 1955 sont le témoignage exceptionnel des premières années de création d'Elisabeth Joulia, de Monique et Yves Mohy.et de l'installation de Jacqueline et Jean Lerat à Bourges. En 1946 Vassil Ivanoff arrive de Paris avec une bonne connaissance de la sculpture actuelle. Il est étonnant par la diversité de ses recherches de formes et de matiéres. Ses plaques de graffitis n'ont pas jusqu'à présent été égalées.

La formation de sculpteur de Jean Lerat lui permet de faire évoluer les formes à son gré. C'est ce qu'il réalise avec son bestiaire. C'est ce que Jacqueline Lerat fera avec ses personnages. Progressivement l'abstraction s'approfondit. A partir des années 1970, seule l'imagination du spectateur permet d'évoquer la nature, un corps. Elisabeth Joulia developpe des sculptures organiques ou inspirées par la nature. La sensualité de certaines oeuvres est surprenante et attire la main. Yves Mohy développe un travail plus architecturé. La géométrie et l'assemblage de  matériaux avec le grés créent des constructions habitées. C'est à La Borne que la céramique moderne se développe.

Jean Lerat, Jacqueline Lerat, Elisabeth Joulia, Monique Lacroix et Yves Mohy participent ensemble aux principales expositions marquantes de France et de l'étranger pendant plus de trente ans. Ils innovent en proposant à chaque fois  des formes nouvelles trés épurées et des matières (chamottes, engobes) qui font vibrer la lumière. L'équilibre des oeuvres crée un ensemble d'une grande modernité et d'un classicisme tranquille.

Cette école est devenue classique en interprétant les leçons de l'abstraction dans le domaine de la céramique. Elle a ouvert de nombreux chemins ( représentation du corps, représentation de la nature, symbolisme, sexualité, poésie, ) qui continuent d'être explorés à La Borne et ailleurs. En cela, on peut soupçonnner qu'elle constitue un maillon essentiel de l'évolution de l'art contemporain

La  tendance "Mingei"

Le lieu, ses ressources et son histoire favorisent un artisanat de qualité. La Borne, est probablement sur la planète un des exemples les plus réussis de la mise en oeuvre des idées du mouvement Mingei (Art populaire) développé au Japon par Soetsu Yanagi(1883-1961), Shoji Hamada en est le céramiste japonais le plus connu. Bernard Leach, son ami, développera en Angleterre à Saint Ives le centre "Leach pottery" en 1920. Deux amies, élèves de "Harrow art school" où enseigne Michael Cardew et où à l'époque le travail de Leach est admiré, Christine Pedley et Janet Stedman trouvent à La Borne l'atmosphére de travail , de liberté et le potentiel économique dont elles rêvaient . Deux femmes vont renforcer cette premiére vague évitant des références trop marquées au Japon, ce que Leach n'a pas toujours su éviter en Angleterre. Ainsi Gwyn Hanssen-Pigott (1935- 2013) mène une démarche exigeante reprenant des normes de formes et de couleur rigoureuses. Anne Kjasegaard, élève de Leach,  met du lyrisme dans ses céramiques.

Après le premier symposium de 1977 qui rassemble toute la jeune communauté céramique française, Janet Stedman, Evelyne Porret et Michel Pastore font revivre en 1979 le four couché communal du village. Ils font ainsi le lien entre les anciens potiers de La Borne, le Japon et les générations actuelles. Le Danois Steen Kepp installe le premier four couché de type oriental  en 1978. Cette solution adaptée à l'autoconstruction se multiplie au point de représenter une vingtaine de fours aujourd'hui.

Design  et production de séries (1960)

Les salons et particulièrement "les arts ménagers" favorisent la diffusion de nouvelles formes plus épurées. Jean Lerat va développer à partir de 1950 un ensemble de pots et de services de table qui peuvent s'accorder sans probléme avec le mobilier de Prouvé ou de Charlotte Perriand ainsi que l'a montré l'exposition d'Helsingborg en Suéde en 1955. Les formes souples et les matières recherchées sont particulièrement remarquables

Elisabeth Joulia crée à cette époque ses premières théières qui feront sa réputation. Ses formes, la variété des émaux et leur parfaite finition  font du thé un moment de plaisir, dans la veine de la cérémonie du thé japonaise..  L'objet usuel devient une sculpture

Pierre Mestre développe une ceramique utilitaire adaptée au mobilier moderne présenté par la galerie Chapo.

Plaque de la poterie Digan

Collection Jean-François Lerat

Pierre Digan crée avec Janet Stedman une entreprise qui emploera jusqu'à 45 personnes pour produire des services de table qui rencontrent le succés en France et aux Etats-Unis. Il recrute une équipe de tourneurs dont certains resteront sur place après la disparition de l'atelier. A cette époque il y a adéquation entre le goût du jour tel qu'il est exprimé dans les magazines féminins et les périodiques d'art et décoration.

La production de céramique usuelle reste aujourd'hui très vivante.

Architecture, bâtiments publics et privés

Les céramistes se sont toujours intéressés à insérer leurs oeuvres dans les bâtiments publics et privés. L'architecture et la sculpture céramique ont de nombreux points communs dans l'occupation de l'espace..

Jean Lerat réalise un des premiers 1 % (La loi prévoit que1% du coût d'un bâtiment doit être consacré à des oeuvres d'art) pour l'internat du lycée de jeunes filles de Bourges.en 1955. Pierre Mestre, Yves Mohy exploitent les possiblités offertes par la réglementation. Guy Schneider s'installe avec Elisabeth Joulia pour réaliser des projets architecturaux,

Christian Gimonet, architecte proche de Le Corbusier et installé à Bourges, a sollicité Guy Schneider et Jean Lerat pour certaines de ses constructions.

Les claustrasde Pierre Digan représentent l'élément le plus achevé des productions faites en grès pour l'arcitecture intérieure des années 1970.

Ce secteur d'activté n'est plus moteur semble-t-il aujourd'hui.

Les années 1970 et suivantes, liberté et diversité dans une communauté acceptée.

Anne Kjasegaard et d'autres ont créé une nouvelle énergie dans la réalisation et le décor des céramiques usuelles. Jusqu'en 1990, date de fermeture de l'atelier de céramique de l'école des Beaux-Arts de Bourges, de jeunes artistes apportent de nouvelles idées avant d'essaimer à travers toute la France.

 Les matériaux et les cuissons  se diversifient (basses températures, porcelaines, etc.) sans bouleverser l'image de la céramique à La Borne. En effet les fours traditionnels japonnais ou coréens fonctionnant au bois se multiplient.

En 1977, une équipe organise un  symposium. C'est l'occasion d'un rassemblement exceptionnel de céramistes français et étrangers. Le sculpteur César en est l'invité d'honneur. Ce premier symposium consacre une certaine vision de la modernité du média "terre". Il se renouvelle en 1978.

Au-delà des céramistes, des artistes ayant d'autres pratiques s'installent. Des peintres, des photographes, des fondeurs, des sculpteurs par exemple apportent d'autres visions. Ce sont de nouvelles perspectives qui s'ouvrent.

L'association des potiers et le nouveau centre de céramique contemporaine de La Borne

Dès 1971, une association des potiers est créée dont Pierre Mestre est le premier président. C'est une première recherche d'organisation et de communication cohérente.

Les nouveaux arrivants ont réussi ce que n'avaient su faire les maîtres potiers d'antan. Ils ont formalisé la communauté des céramistes vivant dans la région de La Borne. Ils ont développé une présentation commune de leurs créations.Cette démarche, favorisée par les collectivités qui ont vu en priorité l'aspect commercial   renforçe le caractère autocentré tout en élargissant le champ géographique des adhérents aux marches du canton. Mais en contrepartie elle est restée très ouverte en accueillant et même en présentant des céramistes invités français et étrangers. En 2008 est construit le nouveau hall de  présentation du Centre de céramique contemporaine de La Borne (CCCLB). Il est géré par les collectivités. Il ne présente que des productions contemporaines dont la vente doit assurer le fonctionnement. Cette exigence montre l'ambition. La construction d'un beau bâtiment d'exposition exige un effort particulier d'explications et de cohérence. Sa dimension est suffisemment importante pour accueillir toutes les tendances à condition d'être sévére pour les présentations. N'est-ce pas le moment de s'ouvrir à l'extérieur?

L'association des céramistes de La Borne (ACLB) réunit par cooptation une soixantaine de céramistes travaillant à proximité de La Borne. Elle assure la programmation des expositions qui permettent de voir le travail récent de céramistes français et étrangers reconnus par leur recherches. Son nouveau président Lucien Petit a fait adopter un projet culturel spécifique à l'association. Une des premières mesures est la mise en place d'une résidence d'artiste dont la première se déroule de 2013 à 2014. On retrouve là mise au goût du jour la démarche mise en place par François Guillaume en 1941. Une deuxième mesure envisagée est le recrutement d'un responsable ayant en charge de développer l'activité du centre de céramique contemporaine et de développer les synergies entre les différentes institutions intervenant à La Borne.

Perspectives

La céramique créée en France et particulièrement à La Borne au cours de la deuxième moitié du XXème siécle n'est pas appréciée à sa juste valeur. Quelques musées donnent à voir quelques éléments partiels à partir de donations ou d'achats peu représentatifs. L'amateur, le simple visiteur ne peuvent donc pas interpréter les oeuvres actuelles au vu de l'histoire de l'art la plus objective. Ces sources seraient utiles pour comprendre les filiations, les apports..Ainsi un article de la revue de Drouot (novembre 2013) présente à partir de quelques récentes ventes la vision du marché vue des salles des ventes. On peut douter des hiérarchies suggérées et de l'exhaustivité du fait de cette absence de références. Les oeuvres créées ici constituent donc un gisement extraordinaire  pour les historiens et pour les collectionneurs,

Le numéro spécial d'Art press paru en novembre 2013 et consacré à la céramique contemporaine illustre aussi parfaitement cette situation. Le numéro s'appuie sur quelques relations personnelles et est incapable de proposer une vision globale. On peut remarquer que trois lieux font l'objet d'un article développé: Sévres, Berlin et La Borne. Certes on assiste à un intérêt accru pour le média "argile". Les galeries et les musées multiplient la présentation de nouveaux céramistes. Tous les styles cohabitent. Cette excessive diversité ne va-t-elle pas condamner le média à une nouvelle descente aux enfers?

A La Borne les matériaux viennent pour une part de plus en plus importante de l'extérieur, les types de cuissons se sont diversifés, les styles vont du réalisme le plus brutal à des modelages géologiques. Cependant certains domaines restent peu explorés comme le monumental,  le design. Le développement autocentré n'a pas favorisée les approches critiques; Eric Moinet dans un récent colloque disait que le secteur de la céramique manquait de critiques d'art. Probablement l'apport de visions extérieures et de confrontations compléterait utilement l'organisation actuelle particulièrement à La Borne.

Conclusions

En accueillant de nouvelles générations de céramistes, en acceptant une mise en commun exigeante de l'activité de chacun et en confrontant ses propres créations à celles d'autres pays le village a su surmonter son isolement. Par contre, il reste à démontrer que  La Borne occupe une place éminente dans l'art contemporain. L'exposition en 2012 de Jacqueline Lerat à Sèvres avec le catalogue correspondant d'une part et le livre d' Hubert Magen et Maud Santini (La Borne, une modernité en céramique) sont une première étape. Les expositions du centre de céramique contemporaine en témoignent chaque mois mais malheureusement il n'en reste que des traces qui ne s'imposent pas encore à l'histoire de l'art.

OXO

 

 

Merci à Christophe Lemarchand, à Maryse et Maurice Bouvet pour leur relecture et leurs questionnements.

 

 

 Bibliographie

Art press Numéro spécial paru en novembre 2013 consacré à la céramique contemporaine.

Frédéric Bodet, La Borne, un village et ses alentours de 1941 à nos jours, tiré à part du n°118 de mai-juin 2001 Revue de la céramique et du verre.

Yvonne Brunhammer. L'art et les artistes dans les années quarante et cinquante. Le journal des arts. N°57, 27 mars 1998.

Maud Leonardt-Santini Une modernité en céramique, 2012, Magen H Gallery New York.

Patrick Mac Coy Le renouveau de La Borne - thèse d'histoire de l'art présenté à Dublin -1990.

Eric Moinet La Borne article dans Jacqueline Lerat L'être et la forme, 2012 Sèvres-cité de la céramique.

 

Ecriture de l'article: Jean-François Lerat né le 25 aout 1946 à La Borne

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